TRAVAILLER SUR LES SMART SOLAR NANO GRIDS
LES DEFIS DE L’ENERGIE SOLAIRE EN AFRIQUE
En 2013, Bert Bernolet a placé au Togo son premier Energy Kiosk, un système solaire qui fournit aux entrepreneurs locaux l’énergie nécessaire pour charger des lampes et des GSM. Cependant, Bernolet a vite remarqué que son plan n’était pas sans faille: l’énergie fournie était limitée et les paiements étaient trop peu contrôlés. Ceci, alors qu’il voulait assurer une utilisation d’énergie productive sans sacrifier la rentabilité. Six ans et un nouveau produit plus tard, le jeune entrepreneur est en bonne voie de réaliser ces objectifs et relate avec enthousiasme les défis techniques et financiers qu’il a dû – ou doit encore – surmonter.
ENERGIE DURABLE POUR L’AFRIQUE DE L’OUEST
“Au Togo, 75% de la population n’est pas raccordée au réseau”, raconte Bernolet. “J'ai voulu y apporter une réponse en ma qualité d’ingénieur. Vu le nombre élevé d’heures d’ensoleillement, une solution basée sur l’énergie solaire semblait évidente.“ Dans la pratique, ceci est vite apparu différent. “Le grand problème de l’énergie solaire est le coût d’achat”, relève Bernolet. “C’est une technologie coûteuse, et la population d’Afrique de l’Ouest est très pauvre.”
Après un certain nombre de projets basés sur des dons, Bernolet est passé à l'économie sociale en 2013 et a commencé l’installation de kiosques solaires. Des installations très simples sur 12 V, constituées d’un panneau solaire, d’un régulateur et d’une batterie, louées par semaine à un entrepreneur local pour un montant fixe. Celui-ci pouvait à son tour gagner de l’argent en chargeant des lampes et des GSM pour les autres villageois.”
Toutefois, ce système avait ses limites. "Un de nos objectifs initiaux était justement d’autoriser une activité économique, mais pour une telle utilisation productive de l’énergie, vous avez besoin de bien plus d’énergie, ce qui se traduit par un prix d’achat plus élevé. Ceci est inaccessible au Togolais lambda. A moins de partager le coût entre différents utilisateurs. C’est ce que nous faisons avec le SolergieBox: nous créons des smart solar nano grids de maximum huit utilisateurs, qui partagent l’énergie et remboursent le système ensemble.”
LE SOLERGIEBOX

Le SolergieBox est un système solaire constitué de deux panneaux solaires, d’une batterie et de huit ports régulés à l’aide d’un Smart Switch. Via des câbles enfouis, jusqu’à huit ménages sont reliés à ces ports et au SolergieBox. En chargeant un crédit, ils peuvent utiliser les 600 Wh moyens qui sont ainsi disponibles chaque jour.
220 V
La fourniture d'énergie se fait à 220 V. “La plupart des systèmes solaires en Afrique de l’Ouest fonctionnent sur 12 V,” explique Bernolet, “mais ceci impose de lourdes limites au système. On ne peut pas y brancher toutes les applications et on est vite confronté à des pertes. Une fourniture d’énergie sur 220 V autorise bien plus de possibilités. On peut brancher sans problème des réfrigérateurs, machines à coudre ou tours, et fournir de l’énergie jusqu’à 500 m de distance sans trop de pertes.”
Prépayé
Le plan de remboursement a également reçu une importante mise à jour par rapport à l’initiative précédente de Bernolet. Outre un petit coût de départ, chaque utilisateur paie désormais selon ses besoins et sa consommation. “Toute l’énergie est prépayée via SMS. Si le crédit est épuisé, le courant est coupé. De cette manière, on est toujours incité à payer et nous sommes certains qu’aucune énergie non payée n’est consommée.”
Huit propriétaires
Idéalement, les utilisateurs remboursent le système en quatre ans – un investissement mensuel de 9 euros par partie. “La grande question est de savoir comment distribuer le système par la suite”, précise Bernolet. “Car chacun n’utilise pas autant d’énergie pendant la période de remboursement. Les investissements sont inégaux. En réponse, nous installons au terme du contrat un nouveau programme qui distribue tout parmi les propriétaires selon la même clé de répartition. En d’autres termes, celui qui a consommé 10% de l’énergie pendant la période de remboursement, disposera toujours de 10% de l’énergie produite.”
”Un compteur d’énergie capable de mesurer jusqu’au dixième d’un Wh n’existait pas. Nous avons du les développer nous-memes”
ENTRE CHER ET DURABLE
Bien que le développement du SolergieBox ait demandé des interventions techniques, les défis majeurs ne se situaient pas sur le plan technologique, d’après Bernolet. “Les possibilités sont légion,” dit-il; “c’est plutôt le prix qui impose des limites. Certainement dans ce contexte. Pour réaliser un produit durable, abordable et rentable, nous devions aussi investir, économiser et développer de façon intelligente.”
Investir intelligemment
Comme le système est remboursé à relativement long terme, l’entrepreneur choisit autant que possible des produits de qualité. “Vous ne pouvez pas économiser sur certains éléments. Nous l’avons appris avec les Energy Kiosks. Ceux-ci ont été réalisés avec des convertisseurs de fabrication chinoise achetés localement au Togo. Ils se sont cassés après quelques mois et ont tout paralysé. C’est pourquoi nous choisissons maintenant des produits de marque."
Epargner intelligemment
Toutefois, Bernolet est aussi réaliste. “Nous construisons toujours pour des personnes pauvres, nous nous cantonnons donc aux modèles les plus simples. Du reste, nous utilisons toujours des batteries au plomb. Une batterie lithium-ion dure bien entendu plus longtemps, mais cela ne compense pas encore le supplément de prix.” Pour la même raison, on a bel et bien choisi des produits chinois pour les panneaux solaires. “Contrairement à la plupart des panneaux qui circulent en Afrique de l’Ouest, il s’agit toutefois de panneaux de label A, garantis dix ans.”
Développer intelligemment
En tout cas, Bernolet a vite abandonné l’idée de fabriquer lui-même les panneaux solaires. Mais d’autres éléments méritaient d’être développés, selon l’entrepreneur. “Le SolergieBox n’existerait pas sans notre compteur d’énergie et Smart Switch”, souligne-t-il. “Ils veillent à ce que la distribution de l’énergie soit correcte, à ce que l’arrivée d’électricité soit coupée au besoin et à ce que nous et les utilisateurs recevions les informations sur leur état.”
“Naturellement, des milliers de compteurs d’énergie existaient déjà sur le marché,” concède Bernolet, “mais aucun ne permettait de mesurer jusqu’au dixième d‘un Wh. Alors qu’il était vital pour nous de calculer aussi les consommations d’énergie minimes, par exemple une lampe de 1 W qui brûle durant dix minutes. Ces données sont transmises au Smart Switch, qui les compare au crédit restant et règle l’arrivée sur cette base.”
Comme toute la communication dans le système se fait via le réseau GSM, le Smart Switch est doté d’une carte SIM. La connexion est ainsi établie avec les utilisateurs d’une part et la plateforme de gestion de Solergie d’autre part. Sur cette plateforme sont collectées et suivies toutes les données client, paiements, états de consommation et messages d’erreur.
COMMUNICATION (IN)SECURISANTE
Le choix de communiquer via le réseau téléphonique n’est pas le fruit du hasard. “C’est le réseau le plus répandu et le plus stable qui soit disponible. Au Togo, quasi personne a l’internet ou un smartphone, mais on trouve des GSM simples. Même si la portée GSM n’est pas toujours garantie. Aussi nous collaborons étroitement avec le fournisseur: nous les informons des villages avec une mauvaise réception, et ils en font une priorité.”
Le point névralgique majeur de la communication via SMS est, selon Bernolet, le manque de synchronicité. “Via l’internet, vous créez une communication directe, mais pour un SMS, vous n’êtes jamais certain qu’il arrive à destination, ni quand. Parfois, cela peut durer deux jours avant qu’un paiement nous parvienne et que le port d’un utilisateur soit rouvert. S’il avait aussitôt besoin de l’énergie achetée, ce n’est pas une bonne chose, bien entendu. D’où notre volonté de donner à nos serveurs un meilleur accès au réseau.”
FLEXIBILITE ET STABILITE
Outre une solution fiable, Bernolet veut offrir aux utilisateurs un système flexible. “Cela signifie que cela doit être extensible. Car pour toute personne qui développe une activité économique, ou travaille avec une pompe à eau ou un moulin à grain, un volume de 600 Wh est vite trop faible.”
Extensions
Les extensions se produisent quand on note régulièrement un manque d’énergie sur un certain Solergie. “En premier lieu, nous ajoutons des éléments, jusqu’à quatre panneaux solaires supplémentaires et une batterie supplémentaire. Nous pouvons ainsi fournir au maximum 1200 Wh par jour. Si ceci ne suffit pas, nous plaçons un second box à côté.”
De nano grid au micro grid?
Afin de garantir le bon fonctionnement du système, une surcapacité est en tout cas prévue sur chaque nano grid. “Naturellement, il existe de meilleures options”, précise Bernolet. “En interconnectant plusieurs SolergieBoxes, nous pourrions construire un micro grid plus stable. Seulement, cela exige encore aujourd’hui un énorme investissement: nous aurions besoin de convertisseurs plus puissants et plus chers ainsi que des câbles supplémentaires pour raccorder les boxes l’un à l’autre. Nous n’étudierons la possibilité que quand la technologie sera moins chère.”
PRODUIRE, INSTALLER ET DEPANNER
Pour terminer, Bernolet souligne que le développement du système, mais aussi la production, l’installation et le dépannage au Togo demandent les nécessaires adaptations. “Notre filiale au Togo emploie 26 personnes dont environ la moitié de techniciens. Ils se chargent, en deux équipes, de l’assemblage, de l’installation et de l’entretien des différents SolergieBoxes.”
Assemblage
La plupart des éléments sont livrés prêts à l’emploi dans l’usine au Togo. “Bien que nous possédions un petit four MSD pour braser les circuits imprimés, seule une pièce est fabriquée effectivement au Togo. Les circuits imprimés sont fabriqués à Wevelgem. En effet, ces tableaux PCB sont trop complexes pour une production locale. Si une erreur se produit, celle-ci est difficile à détecter ou à réparer.”
Installation
D’autres points d’attention concernent l’installation. “Au fond, on peut affirmer qu’il faut moins de précision. Le Togo se situe 3° sous l’équateur, donc l’orientation des panneaux importe peu. Et on ne doit pas se soucier de l’ombrage. Le principal point d’attention est en fait le degré de pente. Celui-ci doit atteindre au minimum 10° pour l’écoulement. Pour cela, nous prévoyons des pieds de quelque 10 cm. Ils assurent aussi la ventilation nécessaire.”
Toutefois, il est important de rester attentif. “Lorsque nous avons placé une mise à la terre pour la première fois dans la saison sèche, nous avons constaté que celle-ci ne donnait rien. Finalement, nous nous sommes rendu compte que c’était logique – il y a tellement de résistance à ce moment-là, mais c’était quand même un peu surprenant. Du reste, nous continuons de placer cette mise à la terre, car elle a naturellement son utilité dans la saison des pluies.”
Entretien
Sur le plan de l’entretien, il s’agit surtout de prise de conscience, d’après Bernolet. “Nous voyons les principaux problèmes dans la saison sèche. Il y a tellement de poussière que le rendement des panneaux diminue drastiquement. Ceci peut être solutionné aisément en dépoussiérant régulièrement les panneaux, mais ceci s’effectue encore trop peu aujourd’hui.”
D’autres problèmes sont mentionnés automatiquement via le Smart Switch et la plateforme logicielle. “Des dépannages interviennent, par exemple, après la notification d’une fraude, la panne d’une batterie ou le déclenchement d’un fusible. Nous nous rendons alors sur place et nous réactivons le système. Récemment, nous avons dû remplacer quelques compteurs à cause de la foudre. Nous ne pouvons pas faire grand-chose dans ce cas-là. Nous pourrions placer des paratonnerres, mais étant donné la force de la foudre, ceux-ci n’ont peut-être que peu d’utilité. Certaines choses restent hors de notre contrôle.”